Nouvelles et romans

samedi 23 février 2013

La folle

Tout était prêt. Avec un sourire sans joie, Dolorès jeta un dernier regard à l'homme étendu sans connaissance dans une mare d'huile. Nulle haine ne brûlait dans ses yeux, nulle pitié non plus. Son visage insondable, sans expression semblait avoir été déserté par toute vie. Oui, elle se sentait morte : morts les sentiments, mortes les émotions et morte la raison, détruits par les espérances trompeuses et les coups cruels du sort. D'autres se seraient relevés encore, se seraient repris en main, auraient fait contre mauvaise fortune bon coeur ; elle en était incapable, elle avait subi la déception de trop. Il lui restait juste assez de raison pour se venger de celui qui avait brisé son esprit par la cruauté de trop ; oh, il n'avait presque rien fait et ne s'en était probablement pas rendu compte... mais voilà, c'était tombé sur lui. Il fallait un exemple pour faire comprendre au monde que si l'on poursuivait dans cette voie du "progrès", si l'on continuait à oublier d'être humain, les âmes déchirées par le désespoir et par la folie ne seraient plus isolées : elles seraient légion.

Dolorès ouvrit la boîte d'allumettes qu'elle avait acheté à un SDF assis dans la neige, en choisit une, la frotta d'un geste sec et assuré. L'odeur enivrante du phosphore l'enveloppa, la flamme jaillit. Avec un rire glacial qui paraissait déplacé dans une situation aussi tragique, elle jeta l'allumette au sol. Le feu se propagea immédiatement à l'huile. La jeune femme se dirigea droit vers l'homme qui déjà commençait à brûler.

Après avoir vécu l'enfer, n'était-il pas logique de mourir par les flammes ?