Nouvelles et romans

samedi 29 juin 2013

Le promeneur et la dryade

Tout était calme ce matin-là, dans la forêt. De temps en temps, un oiseau dissimulé dans les frondaisons lançait un trille perçant. De temps en temps, un frôlement dans les fourrés signalait que la sylve n'était pas aussi déserte qu'il y paraissait. Et les craquements, les grincements qui résonnaient parfois renforçaient l'impression d'être dans un lieu hors du temps, protégé de l'effervescence fiévreuse du monde extérieur. Le promeneur, impressionné, marchait plus lentement, regardant tout autour de lui, s'émerveillant de la teinte verte de la lumière au cœur de la forêt, admirant les racines énormes que certains arbres étendaient sur le sol couvert de mousse et de feuilles brunies depuis longtemps, retenant son souffle au moindre bruit, avec l'espoir, peut-être, d'apercevoir un lièvre ou un chevreuil, peut-être, qui sait.
C'est alors qu'il la vit : en bordure d'une clairière qui s'ouvrait plus loin, il discerna une silhouette gracieuse, au corps souple et sinueux, les bras levés comme pour puiser autour d'elle l'énergie bienfaisante de la forêt. Sa peau brune comme l'écorce et sa robe de mousse verte épousant son corps ,e laissaient aucun doute quant à ce qu'elle était : une dryade. Doucement, le plus discrètement possible, le promeneur avança, pas à pas, posant précautionneusement ses pieds sur le sol pour la surprendre. Enfin, il fut tout près. Un arbre s'interposait entre lui et la vision féérique, il s'écarta d'un pas... Hélas, ce n'était qu'un tronc d'arbre tordu, moussu, dont la ramure avait été brisée par l'orage. Déçu, il sortit tout de même son appareil photo. Cela ferait une belle image à conserver...

Il repartit, tandis que la dryade, dans son dos, était secouée d'un rire silencieux. Puis, elle se figea dans un long sommeil à nouveau.

samedi 23 février 2013

La folle

Tout était prêt. Avec un sourire sans joie, Dolorès jeta un dernier regard à l'homme étendu sans connaissance dans une mare d'huile. Nulle haine ne brûlait dans ses yeux, nulle pitié non plus. Son visage insondable, sans expression semblait avoir été déserté par toute vie. Oui, elle se sentait morte : morts les sentiments, mortes les émotions et morte la raison, détruits par les espérances trompeuses et les coups cruels du sort. D'autres se seraient relevés encore, se seraient repris en main, auraient fait contre mauvaise fortune bon coeur ; elle en était incapable, elle avait subi la déception de trop. Il lui restait juste assez de raison pour se venger de celui qui avait brisé son esprit par la cruauté de trop ; oh, il n'avait presque rien fait et ne s'en était probablement pas rendu compte... mais voilà, c'était tombé sur lui. Il fallait un exemple pour faire comprendre au monde que si l'on poursuivait dans cette voie du "progrès", si l'on continuait à oublier d'être humain, les âmes déchirées par le désespoir et par la folie ne seraient plus isolées : elles seraient légion.

Dolorès ouvrit la boîte d'allumettes qu'elle avait acheté à un SDF assis dans la neige, en choisit une, la frotta d'un geste sec et assuré. L'odeur enivrante du phosphore l'enveloppa, la flamme jaillit. Avec un rire glacial qui paraissait déplacé dans une situation aussi tragique, elle jeta l'allumette au sol. Le feu se propagea immédiatement à l'huile. La jeune femme se dirigea droit vers l'homme qui déjà commençait à brûler.

Après avoir vécu l'enfer, n'était-il pas logique de mourir par les flammes ?