Nouvelles et romans

dimanche 8 avril 2012

Sans regret

Une larme. Une autre. Un torrent de larmes irrésistiblement entraînées par une émotion trop forte pour être contenue. Dolorès avait le sentiment que sa vie partait en lambeaux et que rien ni personne ne pouvait l'empêcher de se noyer dans les pleurs qui jaillissaient de ses yeux, de son cœur à vif. Elle n'avait jamais été préparée à cela...

Cela... c'est-à-dire des imprévus plus difficiles à assumer les uns que les autres, des chocs plus violents les uns que les autres. Naïve et élevée dans un milieu protecteur dès la petite enfance et jusqu'à l'âge adulte, elle n'avait pas connu, contrairement à d'autres, le divorce des parents, les difficultés financières, la crise d'adolescence, les mauvais résultats à l'école et autres contrariétés qui forgent le caractère. A la place, elle avait été choyée, aimée, élevée dans un cocon confortable et doré ou rien de mauvais ne pouvait l'atteindre. Seulement, il avait fallu en sortir, de ce cocon.... et la prise de conscience du fait que le monde n'était pas aussi merveilleux que son univers d'enfance avait été rude.
Escroquerie. Déception. Cruauté. Hypocrisie. Abus de confiance. Elle avait été victime de tout cela et de pire encore. On lui avait volé son amour pour son métier ; on l'avait vidée de son bonheur, privée de ses appuis familiaux, arrachée à ses repères ; on l'avait dépouillée de ses biens. Et à présent, c'est de sa propre substance qu'on la vidait, de sa personnalité, de ses sentiments, de ses émotions.

Les larmes se tarirent. Dans son cœur sec et vidé de tout chagrin, il ne restait rien, rien qu'une froide résolution. La jeune femme se leva et avança vers la fenêtre de son appartement vidé par les huissiers. Qu'aurait été sa courte vie si quelqu'un l'avait aimée, l'avait soutenue, l'avait aidé à comprendre que tout n'est pas rose dans la vie ? 
Elle ouvrit machinalement les battants tandis que défilait dans son esprit tout ce qu'elle aurait pu avoir : elle aurait su surmonter ses déboires, si elle n'avait pas été seule ; elle aurait pu rire, découvrir qu'un rien peut rendre heureux, prendre confiance en elle, gagner en assurance, repérer les escroqueries et apprécier les délices de l'amour...
Elle se pencha : dans la rue, les automobiles rugissaient, les passants se pressaient tels des fourmis affairées ; des fourmis ou des cafards ? se demanda-t-elle avec dégoût. Elle n'en pouvait plus de cette métropole, de ses habitants, de la tension et de la méfiance qui y régnaient en maître avec la cupidité et l'égoïsme. Elle n'en pouvait plus...

Son corps bascula. Sans regret.