Nouvelles et romans

mercredi 28 mars 2012

La sieste



Il dormait.  Son flanc éclairé par le soleil se soulevait paisiblement au rythme de sa respiration et, roulé en une boule duveteuse d'un roux lumineux, les paupières closes, le renard était l'image même de l'innocence et de l'insouciance. Le froissement des feuilles qui tapissaient le sol vint troubler le silence et un homme apparut - un homme qui traquait les animaux sauvages.


En apercevant le renard, le chasseur stoppa net son avancée précautionneuse. Dans la lumière dorée de ce début d'automne, le pelage de l'animal endormi flamboyait, or et cuivre. C'était un jeune, sans doute aucun ; les plus expérimentés se cachaient au fond de leur tanière pour se reposer ; mais lui, insouciant et naïf, il s'était couché là, en plein soleil, pour profiter de sa chaleur bienfaisante.


 Emu, le chasseur hésita, recula... mais sa passion était plus forte que tout : il visa soigneusement. Son doigt s'abaissa. Un léger déclic se fit entendre et il écarta l'appareil photo de son visage. Chasseur d'images... quel beau métier ! En souriant, les yeux brillants, il s'éloigna sur la pointe des pieds.

jeudi 22 mars 2012

Un dimanche de Pâques

Dans la tradition celtique, Pâques s'appelle Alban Eiler ; il s'agit de l'équinoxe du printemps, de la fête du renouveau et de la renaissance. Nouvelle écrite le 20 avril 2011.






 C'était le début de la matinée. Le soleil venait à peine de se lever, et ses rayons traversaient les ramures verdoyantes des arbres, illuminant leurs feuilles presque translucides dans la lumière dorée. Pas un bruit ne venait troubler la paix de cette journée de la Renaissance et de l'Equilibre. Les riches harmonies du chant des oiseaux résonnaient seules dans les sous-bois, se mêlant au murmure mélodieux d'un ruisseau bondissant de pierre en pierre.


Alwena, assise sur un rocher entouré d'eau mouvante, non loin de la rive, goûtait à la paix et à la beauté des lieux, ses pieds nus baignant dans la fraîcheur liquide des flots joyeux. Les rayons matinaux faisaient étinceler sa longue chevelure auburn et paraient son blanc visage d'un éclat féerique. Elle sourit, et ses yeux d'un vert tendre pétillèrent un instant. Aujourd'hui était Alban Eiler, aujourd'hui était la fête de l'Espoir, où tout renaît, où le jour et la nuit durent autant l'un que l'autre. La jeune fille celte se leva et, posant précautionneusement ses pieds d'albâtre sur les pierres glissantes, bras écartés pour conserver son équilibre, rejoignit la berge moussue. Il était temps de retourner au village, si elle ne voulait pas inquiéter son père.


Cependant, elle n'était pas pressée, préférant admirer la nature renaissante plutôt que de se hâter sans regarder autour d'elle. Elle sentait l'herbe douce sous ses orteils, la brise légère dans ses cheveux, les fragrances boisées qui éveillaient l'âme aux beautés de Nature. Elle entendait les chênes murmurer leurs secrets, les fourrés frissonner au passage de quelque hôte des bois, les merles s'agiter dans les branches au-dessus de sa tête. Pas de doute, la renaissance de toutes choses s'exprimait aujourd'hui avec plus de force que jamais.


Tout à coup, elle avisa trois étranges silhouettes tordues, figées dans une danse étrange, un peu à l'écart du sentier qu'elle suivait. Alwena, intriguée, se rapprocha. Elle n'avait jamais remarqué cela auparavant ; et pourtant, ce n'était pas la première fois qu'elle se promenait en ces lieux. Bien vite, elle s'aperçut qu'il s'agissait de troncs tordus, fendus, brisés ou calcinés par une force inconnue. De loin, elle les avait pris pour des Fées dansant les bras levés. La jeune fille approcha encore, effleura d'une main fine et légère l'écorce de chacune, curieuse, admirative. Soudain, elles semblèrent prendre vie : une musique étrange s'éleva des entrailles de la terre couverte de feuilles sèches, des visages s'animèrent, étrangement déformés et pourtant non dépourvus de beauté, et les trois esprits des bois, tourbillonnant dans leurs robes brunes, encerclèrent l'humaine étonnée. Sans l'avoir voulu, Alwena se retrouva à danser avec elles, comme mue par une force indépendante de sa volonté. Enivrée par les accords entraînants qui sortaient toujours du sol, elle se laissa guider, les paupières mi-closes, ses cheveux cuivrés giflant l'air. Combien de temps cet étrange bal dura-t-il ? Elle n'aurait su le dire : bientôt tout devint flou autour d'elle ; elle finit par perdre conscience.


Quand elle revint à elle, la jeune femme était étendue au sol, au bord du sentier, sa chevelure parée d'une couronne de gui. Là-bas, les trois Dryades, de nouveau figées, étaient méconnaissables : des branches nouvelles couvertes de feuilles tendres surmontaient leurs têtes autrefois desséchées. En se redressant, Alwena sourit, heureuse de les voir revivre. C'est là qu'elle se rendit compte du poids qui pesait sur ses genoux ; elle baissa le regard, prit l'objet, l'éleva jusqu'à ses yeux... C'était un oeuf, symbole de Renaissance et de Vie ; un oeuf à la coquille de bois, légèrement chaud au toucher, présent de la forêt à celle qui avait su réveiller les esprits de la forêt. C'était le début de la matinée. Le soleil venait à peine de se lever, et Alwena, debout, serrant l'oeuf contre son sein, tourna le dos à son village pour se consacrer à la Déesse Mère, qui l'avait appelée en ce jour de l'Alban Eiler.

dimanche 11 mars 2012

Le renard blanc

Nouvelle écrite le 24 décembre 2010.

Lorsqu'Azurine le vit pour la première fois, il faisait nuit. La neige avait cessé de répandre ses étoiles sur la terre, et éclairait l'obscurité d'une douce lueur lunaire. Sous le ciel blanc voilé d'ombre, nul bruit ne se faisait entendre dans les bois, à part, de temps à autres, le craquement des branches qui se parlent et le pas léger de quelque animal sauvage menant sa vie nocturne.

La jeune femme était assise dans les frondaisons d'un chêne centenaire aux bras alourdis par les plumes immaculées de l'hiver. Ses yeux d'ambre fixés dans le lointain, elle se perdait dans de sombres pensées, immobile comme la nature alentour. C'est à peine si la brume imperceptible émanant de sa bouche entrouverte permettait de déceler sa présence car, vêtue de blanc dans ce paysage blanc, elle se fondait parfaitement dans l'environnement neigeux. Depuis combien de temps était-elle là, perchée sur son arbre, rêvant en silence ? Elle n'aurait su le dire, mais ses membres engourdis commençaient à la rappeler à l'ordre.

C'est alors qu'il apparut.

 Azurine retint son souffle, écarquilla les yeux, émerveillée. Qu'il était beau, ce renard blanc ! La démarche tranquille, la silhouette élancée, il avançait dans le bois avec l'aplomb de celui qui se sait chez lui, l'expression sereine. Tout à coup, alors qu'elle était certaine de n'avoir pas fait de bruit, il leva la tête vers elle. Les yeux d'ambre de la jeune femme rencontrèrent le regard bleu du renard. Celui-ci s'assit au pied de l'arbre, et ils demeurèrent ainsi, s'observant l'un l'autre, un long moment. Indicible échange sans parole, où chacun semblait avoir beaucoup à dire à l'autre. L'empathie envahit la demoiselle vêtue de blanc. Elle avait le sentiment de comprendre l'animal neigeux.

Brusquement, des cris lointains rompirent la sérénité de ce moment unique. "On m'appelle," murmura-t-elle, tandis qu'une ombre de tristesse venait ternir l'éclatante beauté de son pâle visage. Le renard parut comprendre. Il se leva, et en quelques bonds, il disparut vers le coeur de la forêt, tandis que celle à qui il était désormais lié redescendait du chêne et retournait vers le monde des hommes. Ce monde où elle se sentait si mal, incomprise en raison de son goût pour la solitude et pour la forêt. On lui reprocherait encore d'être partie sans rien dire, on se moquerait d'elle en la traitant de sauvageonne, d'inadaptée, voire d'autiste. Ha ! autiste... savaient-ils seulement que c'était leur égoïsme, leurs disputes incessantes, leur irrespect envers le monde naturel qui l'avaient poussée à s'enfermer en elle-même ? Elle n'était pas autiste : elle était dégoûtée de l'humanité.

Le soir du réveillon, Azurine s'enfuit encore vers les arbres enneigés. Une remarque moqueuse de trop lui avait fait perdre patience et à présent, elle courait dans la neige, s'enfonçant toujours plus loin au coeur de la forêt. Quelqu'un - son frère, en fait, même si elle refusait de le reconnaître comme tel - avait parlé avec fierté de son tableau de chasse ; et elle s'était indignée. Pour la première fois depuis des années, elle avait pris la parole, et on s'était encore gaussé : et pourquoi se priverait-on du plaisir de chasser ? ce n'était que des animaux, et après tout, d'autres naîtraient et remplaceraient ceux qui, morts pour le plaisir des chasseurs, pourrissaient dans les sous-bois... La jeune femme s'était révoltée, d'autant plus que celui qui avait parlé ainsi se moquait comme d'une guigne de respecter l'environnement. Quand il partait chasser, il jetait sans scrupule les emballages de nourriture et bouteilles vides de l'en-cas qu'il ne manquait jamais d'emporter avec lui. Azurine lui avait donc dit ses quatre vérités, et lui n'avait fait qu'en rire, de son gros rire gras et grossier !
Alors, elle était partie, ignorant les cris de sa famille qui la rappelait.

Elle s'arrêta, essoufflée, complètement perdue, et s'assit dans la neige. Fermant les yeux, elle renversa la tête en arrière contre le tronc d'arbre auquel elle s'était adossée, libérant par ce geste les longs cheveux blonds que son bonnet de laine retenait imparfaitement. Au bout de combien de temps eut-elle conscience de sa présence ? Difficile à dire, mais quand elle le vit, le beau renard blanc, elle oublia tous ses états d'âme. Fascinée, elle se leva, et le suivit au cœur de la forêt. Le lendemain, le nom d'Azurine résonnait partout sous les arbres sur un ton angoissé. Le chasseur était là aussi, qui cherchait sa sœur. Il regrettait de lui avoir parlé ainsi, et bien qu'il refusât de changer d'avis, il s'en voulait de s'être moqué de la jeune fille. Alors qu'il s'éloignait des autres, il fut attiré par un double jeu d'empreintes. Des empreintes de renard. Il leva la tête, et crut entrevoir, à la limité de sa vision, deux renards blancs qui l'observaient. L'un avait les yeux bleus, l'autre un regard d'ambre très familier. "Azurine... murmura-t-il, tandis qu'une larme glissait le long de sa joue. Qu'as-tu fait ?"

Ce jour-là, il décida de ne plus jamais chasser.